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« Prévenir les inégalités et la violence chez l’enfant – L’ordonnance culturelle avant 3 ans », Leïla Guinoun – l’ Harmattan

Leïla Guinoun est pédiatre et écrivaine. Son livre « Prévenir les inégalités et la violence chez l’enfant – L’ordonnance culturelle avant 3 ans » est parue en 2024 chez L’Harmattan avec une préface du Professeur Daniel Marcelli.


Dès 3 ans une ordonnance culture est possible

« Prévenir les inégalités et la violence chez l’enfant – L’ordonnance culturelle avant 3 ans », Leïla Guinoun – l’ Harmattan
Le monde où nous vivons est en pleine débâcle. S’il doit survivre, il est vital que nos enfants, demain, aient une conscience éclairée, humaniste. Tout se joue maintenant, par la culture.

Pour gagner ce défi, Leïla Guinoun, dans un livre clair et très documenté, explique point par point l’impérieuse nécessité de prescrire, dès 3 ans, une ordonnance culturelle qui soit à la portée de tous. Le travail de proximité des pédiatres fait qu’ils sont des personnes de confiance que les parents choisissent librement. La prescription d’une ordonnance culturelle doit devenir aussi importante que la nutrition ou la vaccination et s’inscrit, en fonction de l’âge : lecture, musique, jeux, spectacles vivants, arts visuels, nature, exercices physiques. Cette ordonnance peut se faire avec peu de moyens. Nous devons considérer la culture comme un besoin de santé cérébrale. Les progrès scientifiques ont permis de s’occuper du petit enfant d’abord sur le plan organique, puis sur le plan psychologique. Il est temps, maintenant, de s’occuper de lui sur le plan cognitif et sur son potentiel de développement. Le docteur Leïla Guinoun assure que cela entrainerait moins d’inégalités scolaires, moins de violence liée au cerveau émotionnel de l’enfant.

Nous l’avons rencontrée

Danielle Dufour-Verna – Pouvez-vous me parler de vous ?
Leïla Guinoun - je suis pédiatre et j'ai eu un mode d'exercice varié, de l'hôpital à la PMI puis au libéral. J'ai travaillé dans des institutions publiques puis privées loi 1901 comme les IME dans les hauts-de France puis à Marseille.
DDV – Pourquoi pédiatre ? Est-ce une envie depuis l’enfance de vous occuper des enfants ?
Leïla Guinoun – Dès l'enfance j'avais envie de devenir médecin. En 4e j’ai fait la lecture de l’ouvrage du docteur Schweitzer et ce fut le début de ma vocation. Pourquoi la pédiatrie… en fait j'ai été un peu influencée par mon beau-frère qui était pédiatre, professeur de pédiatrie à Alger. J’avais participé à des campagnes de vaccination etc., ça m'a donné envie de faire de la pédiatrie. Ce qui est intéressant en pédiatrie, c'est qu'on a la pathologie, mais aussi on a tout le développement de l'enfant. L’enfant, ce n’est pas un adulte en miniature, c'est quelqu'un. C'est un être qui se développe et qui modifie son parcours en fonction de son environnement de ce qu'il vit je trouvais cette dynamique très intéressante. Notre travail de pédiatre, ce n’est pas seulement de soigner les maladies mais c'est aussi de faire de la prévention.
DDV - cette envie d'écrire c'est la première fois ?
Leïla Guinoun - oui c'est la première fois que j'ai eu envie d'écrire parce que j'avais envie de faire ce plaidoyer pour la culture et le rôle de la culture chez l'enfant en particulier depuis la naissance. On sait maintenant plein de choses là-dessus et ça a été conforté. On le savait déjà par nos grands pédagogues comme Serge lebovici, Maria Montessori, Myriam David etc. tous ces grands pédagogues qui nous avaient formés, qui nous avaient instruits et décrit les étapes du développement de l'enfant. Mais, maintenant, grâce aux neurosciences, en fait grâce à la technologie, grâce l'imagerie médicale principalement, grâce aux microscopes électroniques nouveaux et performants, on sait de on sait des choses encore plus importantes que ce que l'on pensait. On a appris des choses fascinantes sur le fonctionnement du cerveau et on sait que le cerveau se modifie, qu’il change de forme en fonction du vécu et des expériences, que ça démarre dès la naissance. Les connexions se font, elles se fabriquent, d'autres régressent.
Dès la naissance, 700 à 1000 connexions par seconde. Tout se joue avant 2 ans
Dès la naissance, il y a 700 à 1000 connexions par seconde. Plus elles sont utilisées et plus l'information circule vite. On parle ici de plasticité cérébrale avec une fenêtre de sensibilité majeure entre 0 et 2 ans. Tout se joue ici pour l’être humain. Il est stimulé par son entourage et il va construire, il va réaliser des milliards de connexions, 86 milliards dit-on, d'où une capacité de très grande adaptation dès les premières années au moment de cette explosion neuronale. L'intelligence est évolutive et continue à se former bien sûr. Il faut donc nourrir l'ensemble dès la naissance par la culture. Le langage se développe. Le déploiement langagier doit être riche et luxuriant grâce à la lecture, parce que la lecture est un langage écrit. Le langage oral aura son rôle bien sûr mais le langage écrit apporte beaucoup plus pour l'enfant parce qu'il y a des complexités lexicales et grammaticales énormes. Les études ont montré que 20 min de lecture entre un an et 5 ans ce sont 1600000 mots engrangés et cela, jamais le langage oral ne l'apportera ; d'où l'intérêt de la lecture régulière dès les premiers mois. On devrait vraiment restituer la lecture comme une cause nationale, vraiment.
DDV – Vous mentionnez aussi la musique dans votre livre.
Leïla Guinoun – La musique est très importante. La première chose à faire si nous voulons aider nos enfants à se réaliser sur les plans émotionnels social intellectuel et créatif c'est d'engager avec eux, le plus tôt possible, un dialogue musical. La musique joue un rôle considérable aussi dans la structuration des circuits cérébraux, la musique de qualité, la musique savante ; je veux dire par là les classiques. Ce n’est pas restrictif mais le fait que ce soit une musique savante est important, même si on écoute aussi de la variété etc. Faire écouter des œuvres musicales dès le plus jeune âge, c'est un apport considérable. La musique est même utilisée pour traiter les enfants qui ont des problèmes d'apprentissage.
DDV - C'est un véritable plaidoyer ! Est-ce que ce livre et les arguments de certains de vos confrères et consœurs ont fait avancer les choses au niveau de la pédiatrie et est-ce que ça a changé le regard sur l'enfant ?
Leïla Guinoun - J'espère ! En fait on prend conscience de cela. L'apport des neurosciences avec des gens en France comme à l'étranger qui travaillent sur ces sujets le démontrent. Eux l'ont fait aussi dans des livres ; ils le font dans des conférences etc. Moi je me suis saisie de tous ces apports et de mon expérience.
DDV – Et les parents dans tout cela ?
Leïla Guinoun – L’expérience me montre que les parents sont sensibles durant les premiers mois, les premières années, surtout les 2 ou 3 premières années et que l'immense majorité des parents veut faire au mieux. C’est aussi cela qu’il faut développer. Nous avons une fenêtre de sensibilité majeure des parents qui sont prêts à faire des changements de comportement durant les premières années. Et qui voient les enfants pendant les premières années c'est-à-dire pendant les 2 premières années tous les mois ? Ce sont les médecins et les pédiatres ; ce sont les professionnels de la petite enfance, par exemple dans les crèches. Il faut sensibiliser les parents à l'éveil culturel parce que ça peut avoir de grands effets et parce que les enfants sont sensibles aux êtres de confiance et les êtres de confiance premiers de l'enfant ce sont les parents si on le fait avant 3 ans. Après, l’Education Nationale va continuer, bien sûr, son travail mais ça aura du sens.
DDV– Et les pédiatres ?
Leïla Guinoun - Je pense qu'il faut sensibiliser aussi toute la profession de la pédiatrie. J’ai envie de le faire, évidemment, mais je n'ai pas les portes ouvertes pour aller partout. J'ai déjà rencontré des pédiatres. J'ai fait une conférence…
DDV – Qui était la petite Leila ?
Leïla Guinoun – La petite Leila, enfant, a vécu en Algérie. Mon père avait fait médecine pendant trois ans mais n’a pas pu continuer ses études parce qu'il fallait venir en France et qu'il n'avait pas les moyens. Sans-doute ai-je eu envie de de finir peut être un peu son parcours, tout ce qu'il m'a inculqué comme valeur, comme besoin de m'intéresser à des gens qui ont moins de facilité, moins de possibilités que moi. Je lisais énormément même si, à l'époque, on n'avait pas beaucoup de possibilités de lire. J'avais une grande sœur qui était une grande lectrice et chaque fois qu'elle avait quelque chose sous la main j'ai essayé de le lire. Puis, ma sœur s'est mariée à un professeur de pédiatrie et chez eux il y avait des livres que je lisais. Chez nous, les légumes qu’on achetait étaient enveloppés dans des journaux. Je les faisais sécher et je les lisais. »
Quand on demande à Leïla Guinoun quelle est sa conception du bonheur, elle répond : « la liberté, la justice ». Tout est dit !
Danielle Dufour-Verna

Pierre Aimar
Mis en ligne le Dimanche 3 Novembre 2024 à 13:42 | Lu 97 fois

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